MRCA - Most Recent Common Ancestor


Présentation

MRCA est mon ancêtre, votre ancêtre, l'ancêtre aussi de Hitler et Churchill, du pape et de la Reine d'Angleterre, de Mao et de Nelson Mandela.

Défini comme le plus récent ascendant commun à toute l'humanité vivante aujourd'hui, on sait avec certitude:
- qu'il a réellement existé
- qu'il a eu plusieurs enfants (sinon son enfant unique serait lui-même le MRCA)
- que tous ses ascendants sont également, par la force des choses, des ancêtres communs à toute l'humanité (mais étant plus anciens, ils ne méritent pas le titre de "plus récent" qui revient au seul MRCA)

On ne connaît pas:
- son sexe (homme ou femme)
- ses caractéristiques physiques
- son lieu d'habitation
- l'époque à laquelle il a vécu


Qui était vraiment MRCA?

MRCA ne doit pas être confondu avec l'Adam Y-Chromosomique ni l'Eve mitochondriale, qui sont certes des ancêtres communs à toute l'humanité d'aujourd'hui, mais beaucoup plus lointains. L'Adam Y-Chromosomique est génétiquement défini comme le plus récent ancêtre patrilinéaire commun. Autrement dit il est l'homme dont tous les hommes vivants actuellement ont hérité le chromosome Y. L'Eve mitochondriale tient le rôle symétrique pour les femmes (la fonction du chromosome Y étant alors remplie par les mitochondries transmises par les ovules maternels).

Grâce aux recherches menées en génétique des populations, on a pu dater avec assez de précision l'époque à laquelle l'Adam et l'Eve ainsi définis ont vécu. Contrairement à ce qu'on pourrait croire intuitivement, ils n'étaient pas amants. Ils étaient même loin d'être contemporains. Eve serait ainsi née en Afrique il y a 150000 ans, Adam étant pour sa part daté de 60000 à 140000 ans.

On ne peut pas utiliser les mêmes techniques pour dater la naissance de MRCA. Si on sait qu'il est bien, par définition, un ancêtre commun à tous les êtres humains vivants aujourd'hui, on ne peut en revanche pas garantir qu'il en existe chez chacun une trace génétique effective. La transmission des gènes est de nature statistique et s'efface avec le temps. Il est donc tout à fait possible qu'après quelques dizaines de génération il ne reste, chez certains individus, plus aucun gène hérité d'un ancêtre donné.

Il faut alors recourir à la méthode statistique pour dater approximativement MRCA, en faisant différentes hypothèses sur les taux d'endogamie et la circulation des individus entre différents groupes de population à différentes époques. Les recherches de référence sur la question ont été menées par Rohde en 2002/2004 (disponible ici en lien de sécurité externe). Les résultats de ces recherches montrent que MRCA a vécu à une période étonnamment proche. Si l'on met de côté quelques doutes sur l'origine possible de certaines micro-populations très isolées (comme celle de certaines îles de l'Océan Indien ou certaines tribus d'Amazonie), on peut dater la naissance de MRCA de l'époque de l'Antiquité, peut-être même de l'Antiquité Romaine (quelques siècles avant ou après Jésus-Christ) selon certains optimistes.

On doit donc imaginer MRCA comme quelqu'un de très proche de nous, non seulement sur le plan strictement biologique ou historique, mais même sur le plan civilisationnel. Qu'il ait vécu en Egypte, en France ou en Chine n'y change rien: il n'est pas une brute préhistorique, une quasi-bête. C'est un individu vivant dans une société avancée qui connaît le langage, la technologie, les structures sociales, l'art, la philosophie et la religion.

Ce qui est frappant est aussi qu'à l'évidence, il ignore sa propre importance. Il a été la dernière condition nécessaire de toute l'humanité sur le plan philogénétique, et pourtant il ne l'a jamais su. Sa vie a été plus déterminante pour l'histoire humaine que celle de Jules César ou Alexandre le Grand. Lui était sans doute un simple soldat ou une paysanne ordinaire, un individu du peuple comme des millions d'autres. Mais par lui tout a été fait.


La banalité d'être un ancêtre commun

On est en droit d'être impressionné par l'importance ignorée de MCRA. Toutefois, si l'on remonte encore un peu dans le temps (disons si on double à peu près la distance qui nous sépare de MCRA), alors la situation est encore plus surprenante. A ce point de l'histoire humaine, qu'on nomme "Point des ancêtres identiques", il n'y a plus que deux catégories d'individus:
- Ceux dont la descendance s'est éteinte
- Ceux qui ont une descendance toujours vivante à l'époque actuelle: dans ce cas, les recherches prouvent que cette descendance se confond avec l'humanité tout entière.

Autrement dit, si l'on remonte suffisamment loin dans le temps (mais pas si loin, quelques centaines de générations suffisent), on ne trouve plus que des individus sans descendance finale et des CA (Common Ancestors). C'est tout ou rien.

L'analyse que nous avons faite pour le passé vaut aussi pour le futur. Les choses iront même sensiblement plus vite du fait de la mondialisation des échanges et de la généralisation probable du métissage. Même dans l'hypothèse peu probable d'un retour à la protection de certaines frontières (ethno-confessionnelles par exemple), la simple possibilité technique des voyages, ajoutée à l'existence inévitable de quelques passerelles génétiques entre populations (aventures individuelles, immigration résiduelle), fait que les brassages seront plus rapides et surtout plus répandus.

On doit donc tous concevoir notre descendance sur un mode binaire à une échéance relativement brève. Chacun d'entre nous peut tenir le raisonnement suivant: "d'ici quelques dizaines de générations, l'humanité tout entière descendra de moi, ou bien personne". La bifurcation entre ces deux possibilités se fait d'ailleurs très tôt: au bout d'une poignée de générations, l'affaire est entendue. Les lignages qui doivent s'éteindre s'éteignent rapidement. Il suffit pratiquement d'avoir assuré une descendance multiple à la troisième génération pour avoir de grandes chances de devenir un CA quelques siècles plus tard. C'est une question à propos de laquelle on a déjà la plupart du temps beaucoup d'éléments de réponse à la fin de sa vie, et c'est sans doute ce qui, sans qu'ils en aient eu explicitement conscience, a pu embellir les vieux jours de certains patriarches.

Dans la perspective de devenir un CA, il est d'ailleurs moins utile d'avoir beaucoup d'enfants que d'avoir de multiples arrière-petits-enfants. Une progression initiale, en nombre de descendants à chaque génération, de 5-4-4 est moins prometteuse qu'une descendance de 2-4-6. L'importance doit donc être portée, de ce point de vue, à l'ensemble des premières générations à naître: il ne suffit pas d'engendrer, encore faut-il donner à ses enfants le goût de le faire. Avec un jeu de paramètres assez conservateur du point de vue des distributions statistiques retenues, on peut alors montrer qu'un individu ayant deux enfants a une probabilité supérieure à 80% de devenir un CA.

Il faut encore noter qu'au bout du compte, chacun d'entre nous sera un CA, ou ne le sera pas. Avoir eu un seul enfant ou un grand nombre ne changera alors rien au fait qu'on sera devenu, au bout d'un certain temps, la condition nécessaire de toute l'humanité. Ce genre d'arguments bien compris pourrait avoir des conséquences sur le comportement des couples. Si la société était en mesure de garantir une norme de taux de natalité assez étroite et un brassage génétique raisonnable, beaucoup réaliseraient que le fait d'avoir de nombreux enfants plutôt que seulement deux change peu la probabilité de devenir, en fin de compte, un ancêtre commun.

On notera enfin que le regard porté sur notre descendance à long terme est aussi de nature à nous réconcilier avec nos ennemis d'aujourd'hui. Si ceux-ci deviennent aussi des ancêtres communs (ce qui est le plus probable), alors il faut accepter l'idée que d'ici quelques dizaines de générations, tous nos descendants seront aussi les leurs...