Critique de la page d'accueil du site "Secrets de Jet Tours"



Voici typiquement une représentation publicitaire opposée aux valeurs kantiennes et stoïciennes.

Pour commencer, on remarquera le caractère paradoxal du message publicitaire: il cherche par définition à être vu (c'est évidemment le principe de la publicité) en même temps qu'il prétend révéler des secrets. Il y a là la même mécanique perverse que celle qui promet aux acheteurs de produits de mode de se démarquer en affichant une marque. Passons.

Que voyons-nous sur cette image en noir et blanc? Une femme en habit d'inspiration coloniale qui marche avec élégance dans la savane, se dirigeant manifestement vers un avion de petite capacité. Elle porte deux petits sacs à la mode, un sac à main et un vanity case. Le reste de l'image est surexposé et vide, il n'y a pas de trace de vie humaine ou d'activité productive quelconque.

Comment l'interpréter sur le plan symbolique? D'abord il y a cet arrière-plan colonial. On suppose donc une société hiérarchisée, une partie de la population étant exploitée par une petite minorité qui en tire un grand bénéfice. Les gants blancs immaculés de la femme élégante ne laissent aucun doute sur son statut: il s'agit d'une femme inactive dont la valeur tient à son apparence; elle n'a pas besoin de travailler pour vivre dans l'opulence, il suffit qu'elle tienne son rang. Elle ne porte que deux petits sacs alors que sa tenue laisse penser qu'elle aurait au moins besoin d'une malle pour conserver son élégance. Comme elle ne transpire pas, on peut faire l'hypothèse que des porteurs l'ont aidée, mais ces porteurs ont disparu du champ. En fait, c'est l'ensemble du processus de production rendant possible le voyage de luxe qui fait l'objet d'un escamotage complet.

La femme ne semble pas en rapport direct avec son environnement. Elle s'y superpose certes, mais il est évident qu'elle ne pourrait y survivre sans assistance. Elle est tout sauf autonome (même si l'image la montre isolée). Son exemple n'est pas généralisable, car elle n'a de valeur que parce qu'elle est seule. Qu'on l'entoure d'une centaine de semblables (comme c'est au fond le cas dans les situations touristiques) et le charme s'évanouit. Ici, la femme seule s'apprête à prendre un avion qui lui semble destiné en privé, c'est évidemment une aberration d'un point de vue kantien.

Derrière ces apparences flatteuses, tout n'est au fond tout n'est qu'une affaire d'argent, et rien une affaire de "classe" ("classe" au sens de "groupe" ou "classe" au sens de "style"): le catalogue Jet Tours est un catalogue commercial, et nul n'est besoin d'attester son appartenance à une catégorie sociale quelconque pour accéder aux voyages qui y sont vantés. Il suffit de payer.

Il y eut pourtant souvent dans l'histoire des périodes pendant lesquelles les classes aisées étaient aussi les classes éduquées. Ceci s'est en particulier produit entre 1850 et 1910, lorsque la classe bourgeoise était puissante mais minoritaire, que les familles étaient relativement stables et par conséquent que les statuts sociaux évoluaient peu d'une génération à l'autre, et que le progrès technologique réel mais relativement lent empêchait que les privilèges des bourgeois ne se transmettent trop vite aux classes moins favorisées.

Ce temps est désormais révolu. Même si on y fait indirectement référence dans l'image donnée en exemple, les produits touristiques de haut de gamme se vendent aujourd'hui aux jeunes traders enrichis, aux retraités de l'immobilier des années 1980, et aux oligarques russes; autrement dit un public de parvenus. En quoi ces populations sont-elles plus éduquées que les autres? En vérité, elles le sont sans doute moins que certaines fractions de la classe moyenne: fonctionnaires, enseignants, médecins.

Si bien qu'il n'est pas étonnant que ce soit plutôt la vulgarité de type nouveau riche que, moyennant un minimum de décodage, on voit s'exalter dans les publicités qui leur sont destinées.



Source de l'image: http://www.secretsdejettours.com/


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