Jusqu'où collaborer ?

I – Propositions critiques

C - Défauts et incohérences

4 – L'abandon des critères de l’humanisme classique

e - Des idéaux peu kantiens de différenciation narcissique
C'est à ce point qu'on en arrive à une interrogation authentiquement éthique. La question de savoir ce qu'on donne en exemple est en effet directement liée à la question de l'idéal de comportement qu'on doit se fixer. Or il est important de distinguer l'idéal de gloire de celui de dignité. L'idéal de gloire, qui s'appuie sur une reconnaissance sociale, s'accompagne souvent de vanité. L'idéal de dignité, qui s'appuie sur un jugement plus personnel et plus intérieur, risque plutôt de dévier vers l'orgueil.

Notre époque encourage la première de ces deux options, ce qui se vérifie par la fascination pour la gloire médiatique, et singulièrement les people qui ont pour première caractéristique d'être connus parce qu'ils sont connus (la tautologie étant ici parfaitement acceptée, tant il est admis que l'idée d'un idéal externe n'a rien d'une exigence). Le soi-mêmisme à la mode ne contredit pas cette hypothèse puisque c’est surtout aux yeux des autres qu’il importe d'afficher sa fierté d'être soi- y compris de ses propres turpitudes.

Cependant, quand tout le monde aspire à devenir une célébrité, une grande majorité se condamne nécessairement au malheur. Même dans le cas très puissant de la sexualité, le principe de différenciation, non généralisable par définition, semble à l'oeuvre pour empêcher toute harmonie globale.

L'évolution de la politique donne également à réfléchir au sujet des modèles proposés au grand public. La peoplisation de la politique, très liée en France à l'accession à la Présidence de Nicolas Sarkozy, fait évidemment beaucoup de tort en ce qu'elle contribue à désacraliser ce qui pouvait rester de la Loi. Il n'est pas innocent que Sarkozy soit le premier président divorcé, enfant de divorcé. A la manière du jeune enfant privé de père, il ne peut que se débattre, même au plus haut niveau de l'Etat, dans ce qu'on pourrait voir comme des enfantillages (voire des enfantillages spécifiquement féminins). Rétif à la dialectique et à la pensée conceptuelle (études médiocres, errance idéologique) mais fasciné par les stratégies de réseau, poussant les amitiés des uns contre les jalousies des autres, restaurant la courtisanerie la plus vulgaire comme mode légitime d'accès aux fonctions ministérielles (cas de Rachida Dati), il se comporte en tout point comme l'écolière de classe primaire distribuant les "t'es ma copine" ou "t'es plus ma copine" à ceux et celles qui l'entourent.

Non sevré par absence de père, il ne peut logiquement pas plus se comporter en père lui-même, et ni même en époux respectable, et c'est sans doute la raison pour laquelle il a fini par se retrouver en couple avec une courtisane notoire qui ne peut non plus être mère (pas plus que Vénus ne peut devenir Héra). Avec son accession à la présidence, les Français se sont donc retrouvés orphelins, puisque symboliquement, le président de la République incarne la figure du Père de la Nation. C'est la raison pour laquelle il y a un contresens profond (que seul les trotskystes les plus bornés sont assez aveugles pour ne pas voir) à le dépeindre sous les traits d'un despote autoritaire, machiste et sûr de lui. En fait d'autorité, il ne connaît que le caprice. En fait de machisme, il n'est que le jouet des femmes qui l'entourent (et qui ont, sur le terrain de la relation immanente, l'avantage du genre). La comparaison pourrait certes aller à Iznogoud, en aucun cas à Charlemagne.

C'est la raison pour laquelle la fonction de Sarkozy n'est pas d'incarner une figure d'autorité supérieure, respectable pour son intégrité et sa force, une sorte de référence morale, mais au contraire de participer à la grande parade des people dont il partage la condition (absence de relation d'ordre) et dont le rôle constitue à entretenir (entertain?) le divertissement/diversion en cours. Sarkozy doit être compris l'un des nombreux rôles de cette comédie/farce qui nous sert de spectacle politique, et lorsqu'on a compris cela on remarque l'évidente ressemblance avec l'acteur comique préféré de la France des années 1970: Louis de Funès. Expressions faciales exagérées, gestuelle incontrôlable, nervosité débordante, immédiateté du passage de la flatterie à la menace. Sa proximité avec Christian Clavier n'a dès lors rien d'étonnant, quand on sait que Clavier poursuit le même objectif (devenir le nouveau De Funès), pour sa part dans le registre plus approprié du cinéma populaire.

Sarkozy lui-même a-t-il conscience de ce rôle de diversion? C'est possible. En bon libéral, il pense sans doute au fond de lui que la politique n'a pas d'autre fonction que de permettre aux gens habiles l'accession au pouvoir (en l'occurrence au pouvoir médiatique), mais qu'elle ne peut changer le cours des choses. Toutefois, le masquage de la signature du traité de Lisbonne (qui, engageant la délégation de pouvoir d'un peuple souverain contre sa volonté exprimée lors du referendum de 2005, ne peut logiquement être considéré que comme un coup d'Etat) par l'affichage du président avec Carla Bruni à Disneyland Paris me paraît répondre avec certitude à la question posée. L'aspect proprement bouffon de la situation (un président à Disneyland, c'est-à-dire au coeur du monde enchanté américano-centré), affichant sa nouvelle conquête à la manière d'un Jean-Claude Dusse revanchard pourrait faire croire à un gag involontaire. Ce serait oublier de remarquer la parfaite synchronisation avec la signature du traité illégitime: 13 décembre 2007 pour la signature, 15 décembre 2007 pour les photographies.

Toutes ces évolutions forment un tout cohérent: la promotion canapé évidente d'une Rachida Dati supposée représenter la diversité insulte la méritocratie en général et les musulmans respectables en particulier. La constitution d’un gouvernement comme un casting plus que sur la base des compétences réelles contredit la logique de cohérence conceptuelle. La priorité donnée à la communication sur l'action montre l'absence d'autorité réelle. Tout concourt à cette désacralisation de la politique au plus haut niveau, c'est-à-dire comme le signal symbolique d'une désaffection de toute Loi. En une telle absence, le sentiment de déréliction s'installe en chacun et ne peut qu'encourager le déploiement d'un narcissisme de type infantile, chacun n'étant plus renvoyé qu'à lui-même et à ses propres caprices sans qu'aucun principe supérieur légitime viennent les corriger.

Cette situation renvoie au phénomène très général de féminisation de la société analysé parfaitement analysé par Alain Soral et dont Eric Zemmour puis Natacha Polony ont donné des versions édulcorées. Si l'on admet cette thèse de la féminisation, on comprendra que le genre de tyrannie qui nous menace n'a plus rien à voire avec la domination d'un despote identifiable (Hitler, Staline, Mao, les pères sanguinaires de leurs peuples respectifs) mais doit se comprendre comme l'émergence d'une matrice omniprésente, impensable et indépassable. On serait bien avisé, avant de poursuivre l'analyse, de recommander au lecteur de s'interroger sur tous les sens qu'il est possible de donner à ce terme de matrice.

On renverra également à l'exposé vidéo réalisé par le blog Syti pour un inventaire non pas des finalités qu'on pourrait attribuer à cette matrice, mais des moyens qui démultiplient son pouvoir, et qui recoupent en partie certains phénomènes que nous avons déjà passés en revue  :
- La stratégie du choc : 11 septembre 2001, crise de 2008, Émeutes de 2005

- La stratégie du dégradé : réforme des retraites, perte des acquis sociaux, privatisation

- La stratégie d'infantilisation : ritournelles publicitaires, les jeux télévisés

- La stratégie de l'émotion : obsession du terrorisme, faits divers artificiellement médiatisés, sacralisation du principe de précaution

- La stratégie de la médiocrité : télé-réalité, matérialisme consumériste

- La stratégie de la culpabilité : chômage, pauvreté

- La stratégie de la diversion : civilisation du zapping, clips de plus en plus brefs, télévision poubelle

- La stratégie de l'ignorance : baisse du niveau scolaire, mépris de l'orthographe, désintérêt pour le savoir
...auxquels on pourrait ajouter la stratégie de la submersion (méthode classique du contre-espionnage pour lutter contre la transmission des messages ennemis, transposable dans la société d'aujourd'hui dans laquelle, ne pouvant empêcher la disponibilité et la circulation d'informations pertinentes de nature à nourrir l'esprit critique, le système s'emploie plutôt à les noyer dans une masse colossale d'informations inutiles ou fausses)




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