Quel impact nos actions peuvent-elles avoir sur le cours du monde ?

Position du problème

La causalité constitue la première des conditions de possibilité d’une action sur le monde. Une bonne appréhension de ses principes fondamentaux s’avère donc essentielle :
- dans l’ordre pratique : car on ne peut agir efficacement qu’en ayant conscience des conséquences possibles de son action
- dans l’ordre moral : car on ne peut se demander ce qu’on doit faire indépendamment de ce qu’on peut faire. Par exemple si on réalise qu’on ne peut agir sur un certain phénomène, toute discussion morale à son sujet devient vaine.

La représentation possible des rapports de cause à effet

La représentation la plus naïve des rapports de cause à effet, sans doute inspirée de l’observation du monde macroscopique et d’une éducation encore dominée par un rationalisme essentiellement déterministe, est dans doute celle qui tend à attribuer de façon univoque un effet à une cause. Par exemple : le soleil se couche ; il commence à faire sombre. Le bon sens admet cependant que l’effet peut être sans commune mesure avec la cause, selon le dicton « Petite cause, grand effet ». Par exemple, un match de tennis peut basculer sur une balle jugée faute pour quelques millimètres : .

Par extension, on admet facilement qu’une seule et unique cause peut provoquer une série d’effets discrets. C’est ce qu’illustrent parfaitement les notions de chaîne causale ou de réaction en chaîne, dont l’effet domino donne une image saisissante. Les dominos s’entraînant dans la chute peuvent d’ailleurs être de taille ou de nombre croissants sans que cela nuise nullement à la démonstration :

Effet domino de taille croissante : .

Effet domino de nombre croissant : .

Et un joli exemple musical qui repose sur la même logique séquentielle : .

Les récits de fiction gagnent à s’emparer d’une vision de type événementiel pour donner l’illusion d’une cohérence à l’histoire racontée. La publicité, en particulier, a su exploiter ce puissant ressort narratif en réalisant de petits clips qui partent d’un événement anodin pour mener à des conséquences catastrophiques : .

De telles séquences causales, particulièrement stimulantes pour l’esprit, peuvent faire naître des projets de films amusants.

Non seulement une cause unique peut-elle avoir des effets incalculables, encore ces effets peuvent-ils être simultanés et s’auto-alimenter : .

Le risque de confusion entre les causes et les effets

Todo : Exercice sur pauvreté/immigration/délinquance, avec ce lien.

Application à la vie humaine : approche généalogique

Ayant intégré la vision événementielle de l’histoire et l’explosion combinatoire des conséquences possibles d’une cause initiale, il devient possible d’en proposer une application à l’un des phénomènes centraux du comportement humain, celui de la reproduction. Notons au passage que le désir d’avoir un impact sur le cours du monde constitue l’une des motivations principales de l’engendrement, comme l’ont montré certaines enquêtes . La vision événementielle historique, qui s’oppose au fond à la vision structurelle de type marxiste, semble donc bien ancrée au plus profond de la psyché humaine. Kundera a su donner de cette disposition mentale une illustration imagée dans Le Livre du Rire et de l’Oubli [citation sur la poire].

Posons une question simple : quel est, de toute l’histoire humaine, l’être humain ayant eu le plus d’influence –positive ou négative, retenons les deux catégories pour l’exercice- sur le reste de l’humanité ? Qui a le plus créé ou détruit la vie ? Mme Vassiliev, qui eut 69 enfants ? Ou plutôt Hitler ? Mao ? Malthus ? Tous ceux-ci, si on devait chiffrer leur impact en termes de millions de vies humaines, peuvent se prévaloir de chiffres compris entre 10 millions et 100 millions. Jean-Paul II, réputé n'avoir jamais prononcé le mot « préservatif », a sans doute contribué à un décalage significatif de la transition démographique en Afrique et en Amérique du Sud, se chiffrant à plusieurs centaines de millions de naissances supplémentaires.

Et pourtant, tous ces personnages historiques sont dépassés en importance par un individu peu connu, mais essentiel dans l’histoire humaine : MRCA, qui peut pour sa part se prévaloir d’avoir engendré la totalité de l’humanité. Et quand on remonte un peu dans le temps et qu’on en arrive au moment de la conception de MRCA, on est en droit d’éprouver un sentiment de vertige face à l’exceptionnel degré d’improbabilité du monde à venir qu’on atteint. De Woody Allen dans Everything you wanted to know about sex [à partir de 7'31] à Michel Houellebecq dans Plateforme, nombreux sont ceux qui ont eu conscience de l’invraisemblance de toute naissance singulière, en particulier la leur. Que dire alors de celle du père de toute l’humanité ?

Cette question a été abordée efficacement dans certains textes de fiction au moyen de la technique littéraire de l’uchronie. L’un des plus célèbres exemples est Coup de Tonnerre , une nouvelle de Bradbury dans laquelle le héros, voyageur dans le temps remonté à l’époque préhistorique, prend conscience du caractère catastrophique pour l’avenir du monde de la moindre modification apportée au passé (on fait ici référence au terme de « catastrophe » dans un sens voisin de celui exposé par René Thom). Les conséquences évoquées dans le passage « Supposons que nous tuons accidentellement une souris ici. Cela signifie que nous détruisons en même temps tous les descendants futurs de cette souris. Et tous les descendants des descendants des descendants de cette souris aussi. Qu’arrivera-t-il alors des renards qui ont besoin de ces souris pour vivre ? » sont parfaitement illustrées dans cette vidéo : .

La visualisation d’une évolution dynamique séquentielle par les automates cellulaires

Ces dynamiques historiques et humaines, voire à l’origine proprement naturelles et biologiques, gagnent à être représentées sous une forme numérique appropriée. Or, un certain nombre de phénomènes majeurs du point de vue de l’évolution (langage, reproduction sexuée, code génétique, phénomènes mémétiques en général) sont formalisables au moyen d’opérations effectuées sur des ensembles discrets, et jouissent de ce fait de la puissance démultiplicative rendue possible par l’explosion combinatoire des opérateurs utilisés. A ce titre, il est légitime de chercher à en donner une représentation discontinue dans l’espace et dans le temps, mais dont la visualisation accélérée peut se révéler instructive. C’est typiquement ce que la théorie des automates cellulaires, et surtout les simulations informatiques associées, rendent désormais possible. Quoi qu’elle s’en approche par certains aspects, notamment celui de l’imprévisibilité, il ne faut toutefois pas confondre cette modélisation avec celle proposée par la théorie du chaos, adaptée pour sa part à la description des phénomènes continus, formalisables par exemple par la physique des turbulences.

Le jeu de la vie est le plus simple et le plus célèbre des automates cellulaires. En voici une excellente introduction visuelle : .

Ce genre de représentations très abstraites et géométriques peuvent donner le sentiment que les modélisations du jeu de la vie n’ont rien à voir avec les phénomènes biologiques ou naturels. Pourtant, on peut supposer qu’à certains points de vue (échanges chimiques, connexions nerveuses, codage neuronal, échanges sociaux), la dynamique du vivant fonctionne d’une manière analogue. Voici par exemple une simulation 3D qui pourrait représenter l’émergence d’un réseau de connexions neuronales : .

La même chose en un peu moins structuré, plus adapté à la formation d’un précipité chimique peut-être : .

On trouve aussi sur le web de nombreuses applications permettant de simuler le comportement des insectes sociaux, par exemple celui des fourmis à la recherche de nourriture.

D’autres simulations voisines de celles inspirées de la théorie des automates cellulaires peuvent illustrer la relation d’interdépendance entre deux espèces sans mutation : .

Et pour finir une visualisation peut-être plus suggestive sur le plan biologique : .

La question centrale de la résilience

Dès lors qu’on a admis la possibilité de ce qu’on appelle habituellement l’effet papillon, à savoir l’extrême sensibilité d’un système à ses conditions initiales, on peut s’interroger sur le caractère systématique de cette sensibilité. La question devient alors : tout micro-événement survenant à un moment donné a-t-il ou non une incidence sur la structure à long terme, ou n’est-ce le cas que de certains d’entre eux, voire d’une petite minorité ?

Une réponse sérieuse à cette question supposerait une digression importante au sujet de la théorie du chaos. D’une certaine manière, la question pourrait être reformulée de la façon suivante : les systèmes biologique, historique, sociaux, civilisationnels, appartiennent-ils à la catégorie des systèmes chaotiques (dont il deviendrait dès lors essentiel de définir les attracteurs étranges), ou bien font-ils preuve d’une résilience qui légitimerait davantage les analyses de type macro-structurel ?

Concernant la génétique au moins, la question semble tranchée. Il existe d’ailleurs une convergence troublante entre les conclusions des recherches menées sur les common ancestors et les simulations opérées à titre expérimental sur les automates cellulaires. Dans les deux cas, les évolutions à long terme semblent dépendre en totalité de la plupart des éléments initiaux. Attention : pas de ces éléments considérés comme un ensemble, ce qui serait une évidence, mais surtout de ces éléments considérés séparément. Autrement dit, isolant un élément de détail des conditions initiales, et se posant la question de savoir si l’existence ou l’inexistence de ce seul élément peut changer la configuration finale du système, la réponse est en général : oui. Plus précisément, la réponse est : en général oui, et parfois non. Mais ce ne sont pas des oui et non de type Normand, cherchant un moyen terme, une voie médiane : c’est tout le contraire. En réalité, il n’y a que deux cas possibles : ou bien l’élément a un impact nul, ou bien il a un impact total.

Appliqué au cas de la descendance généalogique, les recherches sont formelles : les simulations informatiques montrent que si l’on remonte le temps de deux fois la distance qui nous sépare de MRCA, soit environ 4000 ans, chaque individu vivant finit par avoir, ou bien une descendance nulle, ou bien une descendance se confondant avec l’humanité entière .

Sous certaines conditions de paramètres, les analyses menées sur les automates cellulaires parviennent aux mêmes conclusions. On observe pour commencer que certaines configurations initiales de jeu de la vie aboutissent, quand on les développe à leur terme, à des situations fixes, tandis que d’autres génèrent des formes indéfiniment déployées, qui ne connaissent aucune limite à leur expansion. Il est déjà intéressant de noter que pour un certain nombre de classes d’automates , la stabilité à terme est a priori indécidable . Comme le signale Rouquier, « il n’existe aucun algorithme qui, prenant en « entrée » un tel automate, donne en « sortie » son appartenance ou non à la classe." »

On peut chercher à approfondir cette notion de résilience (ou robustesse) organisationnelle en observant comment certains automates réagissent à la modification des conditions initiales. Par exemple, étant donné un ensemble de départ et un ensemble de règles, dans combien de cas sur 10000 un changement de 1 pixel d’origine sur une matrice 100x100 provoque-t-il une modification de l’état d’arrivée ? On pourrait ainsi en arriver à définir un indice de résilience, qui pourrait ensuite être appliqué à différentes formes évolutives. On rejoint ici certaines problématiques voisines de celles de l’émergence en mémétique, champ de recherche immense et encore pour ainsi dire inexploré.

Dans l’immédiat on pourra se contenter de mener quelques expériences simples sur les automates disponibles en ligne. On peut par exemple utiliser l’application Enjoy Life d'Alan Hensel disponible ici et , pour tester la réaction d’un spacefiller à l’ajout d’un point dans la structure à un moment donné. Le grand nombre de figures disponibles en stock et la possibilité d’agir très rapidement sur la matrice, y compris au niveau de zoom le plus grand, rend les expérimentations particulièrement suggestives. L’application de Mirek permet également d’observer les conséquences immédiates de ses actions sur des matrices très vives et très décoratives.

Mais c’est peut-être l’applet de Rennard qui permet le mieux d’illustrer la question de la résilience. En gardant les paramètres de base et en sélectionnant la figure Coderman en 100x100 avant de rajouter un fixe bloc carré 2x2 à un emplacement aléatoire, on observe que le résultat final est en général totalement bouleversé en durée et en apparence (des copier/coller successifs des images des positions finales permettent de s’en convaincre).

Dans tous les cas et pour essayer d’établir un lien, pas toujours évident, entre l’approche trop formelle de la théorie des automates et la description trop contingente de l’histoire naturelle et humaine, on pourra se référer aux sources suivantes :

- Exemple d’algorithme génétique appliqué à l’évolution d’une classe d’arbres :

- Application au comportement social : la propagation d’un changement dans un réseau :

Si l’on admet que le cadre du changement social constitue un système chaotique, les conséquences sont considérables du point de vue civilisationnel. Concernant la diffusion des innovations par exemple, il devient possible de justifier la validation par l’histoire de choix technologiques suboptimaux. Avec un jeu de paramètres approprié, on peut très bien parvenir à modéliser l’évolution d’un système, non pas vers des états successifs continument optimaux, mais vers une suite d’états quelconques présentant à certains moments de bifurcation des avantages sélectifs contingents, apparaissant sur un mode heuristique et non comme une quelconque nécessité téléonomique. Une telle approche, qu’on pourrait mettre en relation avec la théorie de l’évolution naturelle des espèces , en particulier dans la version popularisée par Stephen Gould permettrait d’enrichir utilement les théories de l’évolution technologique.

- Application au comportement individuel, ici le mouvement du regard déterminant un comportement d’achat en ligne :

- La distinction bi-couche individus/médias permet de mieux visualiser certains effets démultiplicateurs de la communication :

- Et pour ceux qui estimeraient que les automates cellulaires sont trop éloignés de certaines réalités naturelles, voici quelques exemples splendides tirés de documentaires animaliers :

Condition nécessaire de tout, condition suffisante de rien

Si les automates cellulaires permettent d’illustrer la forte sensibilité d’un système dynamique à chacun des éléments qui le composent à l’origine, il ne faut pas pour autant surestimer l’importance d’un élément en particulier. Si celui-ci peut en effet jouer un rôle déterminant dans l’histoire du système, aussi en est-il ainsi de tous les autres.

Cette remarque doit nous amener à considérer les systèmes, et en particulier les systèmes sociaux, non seulement sous l’angle de leur complexité dynamique, mais aussi sous celui de leur complexité structurelle. On peut tenter une représentation de ce type de complexité non plus par des séquences évolutives, mais par des graphes de relations multidimensionnelles, dont certains exemples sont très esthétiques.

Pour ceux qui seraient plus sensibles aux approches par la fiction, le film Forrest Gump donne une bonne illustration de que peuvent être les interrelations des histoires individuelles et de la grande histoire .

Quoi qu’il en soit, la façon la plus simple de résumer ce que nous disent à la fois les simulations informatiques en phylogénie et les expérimentations menées sur les automates cellulaires est la suivante : concernant un système suffisamment complexe, évoluant séquentiellement en fonction de certaines règles et paramètres correctement choisis, et si l’on retient une distance suffisante entre ce qu’on nomme « état initial » et « état final », alors :

Chaque élément de l’état initial est la cause nécessaire de chaque élément de l’état final, mais la cause suffisante d’aucun.

On peut s’amuser à jouer avec cette idée. On peut par exemple songer que le père d’Alan Turing a été une condition nécessaire mais pas suffisante de son fils. Alan Turing lui-même a été une condition nécessaire de l’émergence du concept de « machine de Turing » à un moment précis de l’histoire, et on ne peut savoir ce qu’il serait advenu du premier ordinateur si le père de Turing avait mangé un aliment moins aphrodisiaque la veille de la conception de celui-ci : le monde aurait de toute manière pu être différent de bien des manières, et si l’on ne peut garantir que l’ordinateur n’aurait pas vu le jour quelque temps après la date historique effectivement constatée, on ne peut exclure non plus un concours de circonstances qui l’aurait fait apparaître avant.

Il n’est pas toujours facile de lire dans le sens cause-effet, et il peut donc être utile d’inverser le point de vue. Par exemple, on ne sait pas, quand on croise des gens dans la rue et qu’on influe légèrement leur trajectoire, ce qu’ils vont faire ensuite. Mais si on regarde rétrospectivement la trajectoire d’un homme, par exemple celle du père de Turing qui vient de féconder sa femme, la question est plus précise : combien de personnes ont légèrement décalé son action, ne serait-ce que de quelques secondes, dans la journée qui a précédé la procréation ? Une, deux, dix ? Et combien ont décalé ceux qui l’ont décalé ? Ils sont sans doute des centaines à avoir eu une incidence (indirecte mais réelle) sur le moment précis de la fécondation, donc sur le cours de l’histoire. Un seul éjaculat contenant plusieurs centaines de millions de spermatozoïdes, il est en effet presque impossible que deux éjaculations distinctes mènent in fine à la formation du même embryon.

Si on admet la multiplicité des causes, il serait bien venu d’admettre celle des effets, et en particulier des effets dont on est le sujet, même si on renonce à les connaître en détail. A chaque instant le presque impossible survient. Infiniment improbable, il se réalise pourtant avec une exactitude absolue, une synchronisation parfaite, qu'on est en droit de juger troublante . Avant le tirage du loto, chaque combinaison est presque équiprobable, et il y a si peu de chance qu’elle advienne qu’on pourrait sans risque parier sa vie dessus. Pourtant, l’une d’entre elle sera sélectionnée. Il est facile de faire l’expérience, quasi-existentielle, de la singularité. Ecrivez sur un morceau de papier une suite de 30 chiffres compris entre 0 et 10 : vous avez entre les mains un nombre qui n’a jamais été écrit nulle part ; vous avez modifié le monde.

En vérité, il n’y a aucun risque que la plus anodine, la plus triviale des vies humaines soit perdue. Le fait que les conséquences de cette vie ne puissent être connues ne change rien au fait que cette vie sera –à long terme- tout aussi déterminante sur le cours du monde que la vie du souverain. Autant il est difficile d’apporter un changement significatif assignable au monde dans lequel on vit dans le cours de sa vie, autant il est impossible de ne pas lui en apporter de non assignable.

Toute action, aussi petite soit-elle, n’en est pas moins déterminante. Dès lors, le risque devient de se contenter de ce statut de maillon infinitésimal : se suffire d’intervenir sur le cours de l’histoire du monde par son influence sur l’humanité à long terme, ou bien en nourrissant le projet de devenir grâce à ses enfants un ancêtre commun (probablement d’ailleurs d’ici quelques centaines d’années seulement du fait de la mondialisation des échanges), voire comme un simple artefact ayant eu une incidence non nulle sur le destin de quelques autres, donc sur l’humanité entière. C’est-à-dire abandonner tout à fait l’idée prométhéenne d’être la cause suffisante de quoi que ce soit, mais se contenter d’être la cause nécessaire de tout.

Exemples d’actions qui peuvent transformer le monde

Du point de vue de l’impact sur le monde, contribuer à faire naître un CA (ancêtre commun) revient au même qu’être soi-même un CA. Contribuer à empêcher sa naissance aussi, surtout dans la mesure où celui qui ne naît pas laisse probablement la place à un autre dans le mariage qu’il aurait sans doute fait. En réalité, il suffit d’intervenir pour provoquer ou empêcher une rencontre conduisant à une naissance. Cela peut être fait sur un mode probabiliste, par exemple en écrivant des horoscopes, voire en intervenant sur des forums de discussion pour orienter des choix, etc.

Pour pousser un peu plus loin l’exercice imaginaire, on pourrait faire l’expérience de tirer un nombre au hasard sur un ordinateur muni d’une fonction aléatoire dépendante de phénomènes quantiques. En fonction du résultat, on appelle l’un ou l’autre des standards d’un centre de Fécondation in Vitro en demandant à parler à la personne qui s’occupe des prélèvements. Ce faisant, on modifie très légèrement le timing du centre, donc très vraisemblablement l’ordre des spermatozoïdes des donneurs à venir, donc potentiellement les naissances conséquentes, avec peut-être 60% de chances qu’il s’agisse d’un CA. Le visage du monde de demain se trouve donc modifié à la suite d’un événement microscopique dont même la nature –corpusculaire ou ondulatoire- nous échappe. On se rapproche ici de la problématique de l’acte gratuit .

On peut encore agir indirectement comme vulgarisateur de notions relatives au MRCA (n’est-ce pas ce qui est entrepris ici ?) ; voire participer à une forme de malthusianisme salvateur au plan écologique, en donnant à chacun l’assurance d’une influence non nulle sur le monde, assurance qui pourrait limiter son instinct de reproduction. Des mises en scène amusantes peuvent être imaginées, dans lesquelles l’action de chacun sur un système chaotique conduirait finalement à sélectionner un ovule plutôt qu’un autre dans une opération télécommandée de fécondation in vitro. La question de la survie de son ADN propre est secondaire à ce stade, puisque l’ADN de chacun est de toute manière diluable indéfiniment. Il est plus important, réellement et symboliquement, de se comprendre comme le maillon nécessaire d’une chaîne déterminant l’avenir du monde.

Un univers où « tout est dans tout », ou une infinité de multivers ?

Pour conclure cette vertigineuse découverte de l’enchevêtrement insondable des causes et des effets, nous pouvons nous poser une question profondément anthropique. Etait-il inévitable que le monde devînt ce qu’il est devenu ?

Peut-être, ou peut-être pas.

Imaginons autant de mondes parallèles qu’il y a d’individus possibles. Une certaine fraction de ces mondes auraient disparu lors de la guerre froide à la suite du déclenchement d’un holocauste nucléaire si Krouchtchev avait été un plus nerveux. On peut aller jusqu’à explorer la notion de multivers, qui peut effrayer par l’infinité des branes qu’elle postule, mais ne fait au fond qu’ajouter une dimension d’infini (celle des possibles) à celles de l’espace-temps.

On aurait alors :

Si on part du principe que l’ensemble des éléments du monde est dénombrable hypothèse de la séparation du monde, même subatomique, en particules élémentaires discrètes), alors peut-être peut-on simplement évaluer le nombre de branes à ℵ1, soit l’ensemble des parties de cet ensemble. Or la puissance du continu, qu'on peut noter par commodité ℵ1 est-elle vraiment plus impensable qu’ℵ0 ?

Quant à moi, je me demande même quelle est au juste la différence avec ℵ...