Jusqu'où collaborer ?

I – Propositions critiques

A - L'état du monde

3 - Un monde tentaculaire

Plusieurs termes sont envisageables pour désigner l'évolution du monde contemporain vers une sorte de matrice géante à laquelle rien n'échappe. Quand les français parlent de mondialisation, les anglophones préfèrent user du terme peut-être plus approprié de "globalisation", qui restitue mieux l'idée d'interconnection des phénomènes qu'il importe de prendre en compte au-delà de leur simple extension spatiale.

Le monde n’a jamais été aussi peuplé, mais surtout le modèle civilisationnel qui le structure, celui de la marchandise, n’a jamais été aussi étendu. On peut observer ce phénomène à la fois à propos des classes dominantes –désormais dotées d'une culture d’aéroports et de business schools, et s'exprimant tout à leur aise en globish- et à propos des classes moyennes –façonnées par la pratique de Facebook, du Mac Donald, et le culte d'idoles people communes.

Mais antérieurement à sa dimension culturelle, l'interdépendance est avant tout une affaire économique. Par exemple, les Américains n’ont jamais été si dépendants des Arabes pour leur approvisionnement énergétique, et les Arabes n'ont jamais été aussi dépendants des Américains pour le maintien de leur confort matériel (sécurité des régimes politiques en place, équipement technologique). Des créations hybrides aberrantes comme Dubaï, aussi dynamique sur le plan économique que désolante sur le plan culturel, constituent la manifestation concrète de cette interdépendance monstrueuse -au sens où sa nature la pousse à engendrer des monstres.

Certes l'Asie du Sud-Est, et la Chine en particulier, compte tenu des transferts de technologie accélérés dont elle bénéficie depuis quelques années, commence à avoir les moyens d’une grande autonomie (industrielle et agricole, mais pas énergétique). Cependant et pour l’instant encore, le dollar peut être considéré comme une arme de dissuasion massive plus puissante que tous les équipements militaires dernier cri, du fait de la quantité de devise américaine accumulée par la Chine. Jusqu'à présent le fond de Taoïsme diffus dans la mentalité du pays a permis aux Chinois de parfaitement saisir et accepter, au moins temporairement, cette situation d'interdépendance: les américains passent commande, les chinois travaillent et livrent, les américains paient... dans une monnaie (le dollar) dont la valeur dépend davantage de considérations géopolitiques et militaires que de la contrepartie en marchandises et services effectivement produits par son émetteur.

Plus généralement, la division du travail, connue depuis l’antiquité et à la source de nombreux progrès en termes d'efficacité industrielle ainsi que, si l'on y réfléchit bien, de tout commerce, n’a jamais été poussée si loin. En 1993, une étude montrait déjà que la somme des chaînes logistiques mobilisées pour la fabrication des différents éléments d’un simple pot de yaourt aux fraises, à Stuttgart en Allemagne, formait une distance de près de 9115 km. Désormais, à l’exception de quelques peuplades reculées, la quasi-totalité du monde dépend, y compris pour sa survie alimentaire, de chaînes logistiques longues. Autrement dit, la mondialisation ne doit plus être envisagée comme une option politique parmi d'autres, mais bel et bien comme une obligation vitale, sur laquelle on ne pourrait revenir que difficilement et lentement.




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