Jusqu'où collaborer ?

Conclusion

3 - Recommandations pratiques

Le tableau de synthèse suivant présente de manière visuelle les différentes options possibles, concernant les attitudes éthiques et politiques face au changement.



(todo: intégrer dans le graphique les différentes positions listées, peut-être indexées par des numéros ou des étiquettes les identifiant clairement) L'axe horizontal oppose les positions du point de vue de la vitesse souhaitée du changement: à gauche, on trouvera les options de changement lent, voire de conservatisme; plus à droite les options de changement rapide, voire de bouleversement.

L'axe vertical oppose pour sa part les positions par rapport aux sujets/objets du changement. En haut, on trouve les attitudes qui pronent le changement pour les autres; en bas, celles qui reposent sur un changement mené sur soi-même. Cet axe présente une difficulté particulière pour toutes les morales qui tendent à réunir l'individuel et l'universel (typiquement le kantisme), puisqu'on pourrait les considérer à la fois comme les plus solitaires et comme les plus collectives. Nous avons choisi de les positionner vers le bas, dans la mesure où ce qui nous semble primer est le centre de responsabilité considéré. Même si un kantien agit dans un sens universel, il ne va pas chercher à contraindre, ni même à convaincre, autrui d'agir dans le même sens. Il va simplement espérer que, guidé par le même raisonnement, chacun en fasse de même. Nous sommes donc aux antipodes des mouvements réformistes qui visent à chercher des solutions collectives qui, même si elles sont modérées, n'en sont pas moins contraignantes: ce qui s'oppose le plus à la morale kantienne, c'est sans doute la morale revendicative des soixante-huitards qui exigent tout des autres sans en contrepartie envisager le moindre effort pour eux-mêmes. Au contraire, certains mouvements qui prétendent agir au nom d'un collectif agissent précisément au nom d'un collectif particulier et non universel. Il en est ainsi des communautarismes, et même dans une certaine mesure de la philanthropie (puisque celle-ci est en général sélective) et même du socialisme (qui repose en partie sur la notion de lutte des classes).

On pourrait aussi voir les choses légèrement différemment, comme par exemple sur le graphique suivant:



Une telle présentation n'est pas moins vraie que la précédente, elle insiste simplement sur d'autres aspects. En fait, tout dépend du point de vue qu'on entend défendre.

Ces conclusions doivent être tirées avec modération. Il convient de ne pas oublier que le projet de société ouverte libérale présente l'avantage majeur de s'ériger en rempart contre toute forme de dogmatisme. Le prix à payer pour cela est peut-être l'acceptation de l’apparition (en chacun d’entre nous) de quantité de ces hommes divertis décrits successivement par Tocqueville, par Nietzsche, par Sloterdjik et par Muray. Certes, la prise de conscience de l'avilissement du tittytainment est si douloureuse (et si blessante sur le plan narcissique pour les humanistes naïfs) qu'elle peut mener par réaction sur la voie du rejet. Ce serait oublier que la promesse du libéralisme de constituer la moins mauvaise des modes d'organisation sociale compte tenu des faiblesses intrinsèques de l’homme est peut-être tenue. Dans une société ouverte, rien n’oblige les sujets à se comporter dignement, mais rien ne le leur interdit non plus. Chacun est donc à même de se révéler dans ce qu’il a de meilleur comme de pire. Une telle situation constitue un terrain de jeu idéal pour la pratique du stoïcisme.

De toute manière, à partir de l'optimum local du libéralisme, toute tentative d'amélioration du système par une forme de volontarisme collectif formel semble vouée à l'échec, quelles que soient les exhortations bruyantes dont elle bénéficie. La notion de contrainte collective étant contraire à son esprit, elle finit toujours par se traduire par une forme d'hypocrisie ou de dysfonctionnement. En régime libéral, la voie morale est donc certainement à chercher de l'autre côté du volontarisme collectif formel, c'est-à-dire du côté de la souveraineté morale individuelle.

Rien n'empêche un libéral d'être aussi kantien. Rien ne l'empêche d'être stoïcien. Rien ne l'empêche d'aspirer au Zen. Rien ne le force à adhérer à ces voies morales, mais rien ne peut le lui interdire. Seulement, c'est à titre individuel qu'il doit faire l'effort de s'y engager.



Recommandations

Nous allons maintenant évoquer un certain nombre de recommandations pratiques auxquelles l'ensemble des arguments donnés plus haut peuvent mener. Ces recommandations sont toutes relatives. Conformément aux remarques qui précèdent, toute position fixe et définitive est ici déconseillée, et si la notion d'impératif catégorique kantien reste au centre du raisonnement proposé, c'est toujours le contexte et le discernement qui doivent primer dans la détermination d'un choix moral avisé. Néanmoins, et même en fait à cause de ce caractère seulement indicatif, les conseils qui suivent seront particulièrement précis et directement en relation avec la vie quotidienne des individus habitant dans les pays Occidentaux au début du XXIème siècle. Ils s'adressent principalement à ceux qui, parmi la jeune génération, cherchent des repères moraux d'autant plus difficiles à trouver que plus personne n'ose en proposer par peur de se retrouver qualifié de réactionnaire.

Liste de recommandations à caractère général:

  • Encourager et aider les enfants à atteindre un bon niveau de culture générale malgré la baisse du niveau scolaire ; se montrer en particulier plus exigeant que l'institution scolaire actuelle concernant les savoirs fondamentaux (se référer plutôt aux standards des années 1960); dans une variante plus audacieuse et en fonction des moyens disponibles, assurer soi-même l'éducation de ses enfants.
  • Pratiquer au moins un sport ou un jeu en compétition, éventuellement dès l'enfance, mais surtout pendant l'adolescence.
  • Ne jamais cesser de s'instruire, en particulier au sujet de ce qui est objectif (sciences, techniques) et en rapport avec la réalité (histoire, actualité politique ou économique), en privilégiant médias alternatifs et réflexion personnelle.
  • Réserver du temps au recueillement et au développement de l'esprit critique individuel par la limitation des interactions sociales stériles (mondanités, relations publiques) et des pratiques de divertissement (sorties, fêtes); ne pas laisser parasiter son attention par les faits divers, les artefacts d'actualité, le fun sous toutes ses formes; ignorer les médias passifs (chaînes dominantes de télévision et de radio).
  • Se tenir à l'écart des dogmatismes, en particulier de ceux des religions de la Révélation.
  • Ignorer les marques de commerce, les produits de luxe et de prestige, les phénomènes de mode et les biens de consommation ostentatoire.
  • Faire connaître cette disposition à son entourage, pas tant par prosélytisme que pour ne pas alimenter malgré soi le conformisme bourgeois en se trouvant par exemple dans l'obligation d'accepter des produits de marque offerts comme cadeaux.
  • Consommer de son propre chef moins qu'on ne produit; ceci à la fois sur le plan de la valeur pécuniaire et sur le plan de la valeur subjective qu'on attribue à l'un et l'autre.
  • Limiter volontairement ses revenus, par exemple à dix fois les revenus moyens de son pays (soit un ordre de grandeur); au-delà, continuer son effort de production, mais sans le moindre objectif de récompense.
  • Considérer chacun en fonction de son mérite, de son savoir et de ses réalisations (intellectuelles et manuelles) et non en fonction de son statut, ses revenus ou sa proximité sociale.
  • S'essayer aux réalisations personnelles, en particulier dans le domaine du jardinage, du bricolage, de l'artisanat fonctionnel et de la production de textes critiques voire scientifiques. Les réalisations à caractère social ou artistique sont aussi possibles, mais moins facile à apprécier objectivement du fait du risque plus élevé de complaisance narcissique ou sociale.
  • Préférer vivre hors des grandes métropoles, par exemple en milieu rural si cela est compatible avec son activité.

    Liste de recommandations à caractère professionnel:

  • Refuser de travailler dans le secteur du luxe (stimulation du narcissisme) ou la finance de marché (collaboration au risque systémique), sauf à opter pour une approche révolutionnaire par majoration.
  • Eviter de travailler dans les fonctions juridiques (sophisme, formalisme), publicitaires (inutilité sociale, stimulation du narcissisme), de communication (sophisme) ou d'audit (formalisme).
  • N'accorder aucun crédit aux politiques de RSE mises en avant par les entreprises sauf à vérifier l'ensemble des actions entreprises et à les mettre en relation avec le reste de l'activité productive au moyen du principe de proportionnalité.
  • Ne pas hésiter à faire connaître ses réserves morales, dans les instances appropriées, sans prosélytisme mais sans faiblesse, quand on est en désaccord avec les choix de l'entreprise pour laquelle on travaille.


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